Pauvre Francis Bergeade (Serrault et ses joues épuisées) ! Le ciel ne cesse de lui tomber sur la tête : son entreprise de verre de toilette est en pleine grève, le fisc s’en prend à sa riche épouse (Sabine Azema, dont le potentiel hilarant explose) et sa fille hargneuse l’épuise au point qu’il risque de baisser les bras. Dans l’univers sombre et glauque de Dole (Jura), le seul rayon de soleil vient de son ami Gérard Lesueur (Eddy Mitchell, qui est, en général, hilarant)

Une bonne robe de célibataire, un costume Renoma, une cravate grossière, toujours prêt pour une gaffe, un vomissement frénétique ou une grosse blague capillaire. Dans ce monde peint à l’aide d’un pinceau pour toilettes, les choses prennent une nouvelle tournure lorsque Bergeade découvre sa photo dans Ou es-tu ?

C’est le « realiticho » que voit la France entière : un groupe d’agriculteurs du Gers est à sa recherche. Bergeade a-t-il vécu une vie ambiguë avec Condom ? Le Bonheur est dans le pré, troisième long métrage d’Etienne Chatiliez et de sa co-star Florence Quentin, peut vraiment commencer.

Une bouffée d’air fraiche à base d’humeur gras

On y retrouve leur « signature » ainsi que tous les éléments qui ont nourri La Vie est un long fleuve tranquille, ou Tatie Danielle, l’idée d’une double vie interchangeable, ainsi que les contrastes faciles (le Nord-Est gris et urbain contre le Sud-Ouest luxuriant et rural) ainsi que l’art de la caricature, qui est une sorte d’humour « méchant » dans le style du Mocky.

Il est vrai que Le Bonheur est dans le pré est souvent hilarant, que certaines scènes et dialogues sont incroyablement drôles, que Mitchell ou Morel sont extrêmement drôles, qu’Azema fait un massacre macabre et que Carmen Maura fait passer beaucoup de choses en quelques mots.

On connaît l’idée de sortir Roger Gicquel de l’oubli pour en faire un semblable de Jacques Pradel et on sait gré aux scénaristes d’avoir essayé d’étoffer les personnages (notamment Bergeade/Serrault) et d’échapper au systématisme étouffant de Tatie Danielle.Mais Chatiliez est pris par sa carrière de cadre dans le domaine de la publicité et son film est agrémenté de toutes les vertus, mais aussi de tous les défauts de l’entreprise.

On assiste à un fourmillement d' »objets » à la mode tels que la bonne bouffe et le retour aux valeurs naturelles du milieu rural et du marché gersois pour la publicité, Cantadou ainsi que les frères Cantona (qui ont d’ailleurs un bon palmarès), Morel des Deschiens…

Le bonheur n’est pas qu’un film, c’est un mouvement et un calcul de la démographie. Il y en a pour tous les goûts : on se moque de la classe, du bourgeois et de la classe ouvrière pourtant, tout en les mettant dans la poche.

Les Parisiens se moqueront du sex-appeal des coutumes provinciales, mais les agriculteurs auront aussi leur compte dans le tendre couplet sur la friche. Chatiliez ne se réinvente pas et ratisse large, déformation professionnelle oblige.

Sa satire de la société reste toujours dans les limites du normal et de l’acceptable, par exemple le fond gay de la romance Serrault/Mitchell n’est pas dépeint et on en reste à la relation moins violente et virile ; quand on voit des cartes routières et des armes dans le poulailler de Carmen Maula, on est tenté de croire que son ex-mari était peut-être un terroriste armé qui faisait partie d’une organisation cachée ?

Ah non ! Chatiliez dit que dans son film, ce sont les femmes qui mènent les hommes par le bout du nez : Pourtant, pendant que Serrault boit des canons au bistrot ou s’assoit tranquillement en contemplant le coucher de soleil, c’est Carmen Maura qui travaille, cuisine, fait la vaisselle sans se départir de son charmant sourire.

C’est la raison pour laquelle Le Bonheur est fondamentalement beau ; il n’est pas seulement beau et beau comme Les Anges gardiens ; il est renversant, néo-beau et intelligemment beau.

Finalement, Chatiliez, c’est Mocky Canada Dry, un anarchiste communicant : un homme doté d’un certain talent comique, qui est prêt à faire le comique avec n’importe qui, pourvu que ce soit la majorité. Le Bonheur est dans le pré est l’humour qui a le pouvoir qui a fait basculer la France entière à gauche, de l’intello à l’accent de gauche jusqu’à l’électeur FN.

Qu’ils s’en rendent compte ou non, Chatiliez et Quentin ont perdu de vue l’adage de Pierre Desproges « On est capable de rire de n’importe quel sujet cependant, pas avec n’importe qui. »

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