L’histoire des tirailleurs sénégalais – les régiments de soldats africains colonisés qui ont servi l’armée française dans de nombreux conflits, dont la Première et la Seconde Guerre mondiale – est fascinante et troublante, et pourtant elle a rarement été racontée à l’écran.

DP devenu cinéaste Mathieu Vadepied (Les intouchables) tente de rattraper cela avec son deuxième long métrage, Père et soldat (Tirailleurs), qui met en vedette Omar Sy dans le rôle d’un Sénégalais qui s’enrôle délibérément dans les tirailleurs (qui signifie « tireurs » en français) pendant la Première Guerre mondiale afin de protéger son fils, puis finit par se battre pour leurs deux vies dans le horrible bataille de Verdun.

Père et soldat

L’essentiel

Un hommage émouvant mais dévoué aux soldats oubliés de la France.

Lieu: Festival de Cannes (Un Certain Regard)
Moulage: Omar Sy, Alassane Diong, Jonas Bloquet, Oumar Sey, Bamar Kane
Réalisateur: Mathieu Vadepied
Scénaristes : Olivier DemangelMathieu Vadepied

1 heure 49 minutes

Le postulat est un peu farfelu et cinématographique, et pourtant il est manié avec aplomb tant par le réalisateur que par la star, qui évitent trop de clichés faciles tout en nous plongeant dans l’univers unique et inédit des troupes africaines. Ouvrant la barre latérale Un Certain Regard de Cannes, le film pourrait attirer l’attention en France, où Sy est le plus grand acteur du moment, ainsi qu’à l’étranger, où son Lupin La série a été un grand succès sur Netflix.

Co-écrit avec Olivier Demangel (Cédric Jimenez’s Novembre), le script emprunte des voies familières mais aussi des voies inconnues, nous conduisant dans une direction attendue pour faire marche arrière à mi-parcours. Dans un premier temps, nous suivons le calvaire de Bakary Diallo (Sy), un père de famille dont la vie paisible de berger au Sénégal est bouleversée après que l’armée française ait pillé son village pour trouver des recrues pour la Grande Guerre. Lorsque son garçon de 17 ans, Thierno (l’expressif Alassane Diong), est ramassé, Bakary s’enrôle pour le protéger, et bientôt les deux se retrouvent côte à côte dans les tranchées.

Les premières sections du film nous plongent dans la vie des tirailleurs, qui combattaient souvent séparément des soldats blancs et étaient eux-mêmes un mélange d’hommes de toutes les régions d’Afrique de l’Ouest et d’ailleurs. Une grande partie du dialogue du film est en dialecte peul, que Bakary et son fils parlent ensemble – et que Sy, dont le père est sénégalais, a appris dans son enfance – mais d’autres troupes parlent des dialectes comme le wolof, créant une cacophonie de langues qui laisse souvent Bakary et Thierno dans l’obscurité quant à la façon dont les choses fonctionnent.

Vadepied a fait ses recherches pour rendre les choses le plus authentiquement possible, avec la photographie de Luis Arteaga (Tremblements) gardant les couleurs aussi sourdes et boueuses que les décors du nord de la France, et la décoratrice Katia Wsyzkop (Benedetta) a recréé des pans entiers des tranchées et quelques villages déchirés par des bombardements incessants.

Là où le film vacille, c’est dans une histoire qui peut parfois sembler aussi alambiquée qu’un film d’action hollywoodien typique : comment est-il possible que Bakary reste aux côtés de son fils, jusqu’au no man’s land et au-delà, dans une armée hautement surveillé et soumis à une discipline stricte, avec des bombes qui éclatent tout autour ? Dans la deuxième partie du scénario surtout, l’intrigue dépasse bien des efforts de vraisemblance, et le portrait des tirailleurs que Vadepied tentait de dresser est un peu terni.

Mais Père et soldat emploie également quelques bons rebondissements, dont un majeur au début dans lequel Thierno se révèle être un héros lors de la plus grande scène de bataille du film, esquivant les balles et tuant quelques Allemands à travers la ligne de tir. Son supérieur blanc, le lieutenant Chambreau (Jonas Bloquet), décide de le nommer caporal, plaçant le garçon dans une curieuse position : il est désormais à la tête d’une escouade qui comprend également son propre père. Pendant ce temps, Bakary continue d’essayer de les faire sortir de là, faisant équipe avec un camarade tirailleur, Salif (Bamar Kane), pour comploter et voler son chemin vers la liberté.

C’est un renversement bienvenu, le fils usurpant son père sur le champ de bataille, testant ses liens familiaux mais aussi ses liens avec sa patrie. Il y a un discours sous-jacent dans le film sur deux générations qui s’affrontent pendant la guerre, Bakary ayant l’intention de retourner au Sénégal et de reprendre son travail de berger, tandis que Thierno commence à voir les possibilités de construire une nouvelle vie en France. La scène la plus mémorable est peut-être celle dans laquelle Bakary écoute les autres soldats parler de coucher avec des femmes blanches, voyant son fils grandir et prendre ses distances devant ses yeux.

Ces moments plus texturés sont plus forts que certaines des notes évidentes que l’intrigue frappe dans le troisième acte, avec une fin prévisible qui reste néanmoins émouvante. Sy, qui est devenu célèbre en tant qu’acteur comique, n’a jamais été aussi austère et sérieux qu’il l’est ici. Il s’engage pleinement dans un rôle dans lequel, peut-être pour la première fois de sa carrière, il ne sourit guère, et il finit par décrocher l’une de ses meilleures performances. C’est un virage sombre en effet, mais il se sent pleinement justifié dans un film qui ne convainc pas toujours dramatiquement, tout en impressionnant dans sa tentative d’aborder une partie de l’histoire de France qui a été aussi longtemps oubliée que toutes les victimes de ce grand et oublié armée.

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