Le lieu de tournage est une structure située dans le 18e arrondissement de Paris, à proximité de la banlieue, le long des voies ferrées qui relient la gare de l’Est.

La population environnante est majoritairement noire et antillaise, ce qui n’est pas plus significatif que dans le cas où la réalisatrice n’a pas laissé des livres écrits par Franz Fanon ou Joseph Stiglitz sur le sol, et ne s’est pas attardée quelques minutes sur les rapports entre le Nord et le Sud, ainsi que sur le poids de la dette pour les pays faibles.

Claire Denis dépeint le moment où les deux vieux compagnons d’un couple doivent se séparer. Lionel est conducteur de RER. On le voit dans sa voiture, se déplacer de gare en gare et de Paris à la banlieue et retour sans être affecté, et complètement connecté à la vie des personnes qu’il transporte. Il est une entité distincte à travers les rails.

Le soir, après son retour du travail, Joséphine lui apporte ses pantoufles. Il part se doucher, puis la rejoint dans la cuisine, où elle a préparé le dîner. 35 rhums, c’est une histoire ordinaire. Métro-boulot-dîner-métro pour la répéter le lendemain.

Une histoire ordinaire, un dénouement extraordinaire

La culpabilité de ne pas avoir imaginé sur un quotidien terne la lutte pour vivre sa vie d’homme, la quiétude du rassemblement du soir après la fin de l’escalier racoleur et cette femme qui fume devant sa fenêtre, et ce vélo affreux qui encombre le palier.

La journée passe le temps, elle file et la radio ronronne et l’omelette bave et les gens restent, puis les gens partent, et un jour, le petit chat est parti. Partagez un article sur internet en cliquant sur les icônes de partage situées en haut de la page.

C’est pour montrer le danger. Car ce qui pourrait être en jeu, c’est une étape cruciale, comme un aiguillage, un tunnel, et un ultime swoop vers la ligne d’arrivée. Pour un employé qui part à la retraite, le chaos, « le sentiment d’être abandonné » est un risque de suicide.

Il en va de même pour Lionel et Joséphine : c’est le bon moment pour se séparer, car il est préférable qu’une fille quitte à un moment donné son père décédé et s’unisse à un homme d’un autre âge, pour trouver un autre type d’amour.

La photographie au sommet de son art

En présence d’un étudiant qui fréquente son collège, Joséphine choisit Noe, le voisin de son immeuble qui décide de vendre son appartement et déménage ailleurs et Lionel qui n’a pas de domicile fixe, repousse les avances lascives de Gabrielle et d’une connaissance, d’un chauffeur de taxi.

Ils font partie d’un petit groupe qui, par une soirée pluvieuse, prend un véhicule pour aller voir un spectacle. Ils tombent en panne et sont coincés dans un restaurant de banlieue pour une de ces scènes avec lesquelles Claire Denis excelle : l’amitié d’un repas-brochette qui se transforme en un slow dansant, un frémissement sexuellement sexy, une chorégraphie et même une ivresse.

Claire Denis a un secret qu’elle maîtrise : elle peut filmer, avec une fluidité d’une simplicité bouleversante, ces moments de mouvements frénétiques qui s’enchaînent et ces danses qui dégagent la solitude de l’instant, ces mains tendues dans l’obscurité qui incarne des désirs ou un péché ou une transgression musicale.

Filmer sans compassion ni transcendance et sans le moindre dialogue en tant que tel, de manière poétique, dans la relation qu’elle entretient avec l’image, avec un sens du sexe et de la contemplation, de manière presque documentaire.

Ce type de narration qui évite l’exotisme est en quelque sorte lié au cinéma asiatique qu’elle aime et admire – le coréen Hong Sang-soo par exemple, mais aussi le taïwanais Hou Hsiao-sien et surtout le japonais Yasujiro Ozu. Tout dans 35 rhums est une référence à l’univers du maître, célèbre pour sa capacité à filmer à la hauteur du tatami.

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