Une image sombre est illuminée par des éclairs d’iridescence. L’image qui évoque d’abord des galaxies en amas ainsi que les jets de photons d’une supernova à la dérive se transforme peu à peu en une apparence de reflets chatoyants qui évoquent les motifs complexes de pierres précieuses imbriquées les unes dans les autres.
Le spectateur, captivé pendant une longue période par ce Kaléidoscope rougeoyant, se rend bientôt compte que cette qualité étonnante n’est pas l’œuvre d’un artiste, mais plutôt un agrandissement des intestins d’Howard, bijoutier anesthésié par une coloscopie. En quelques secondes seulement, les frères Safdie donnent une note nerveuse et inattendue à leur propos, à l’image de la longue et éprouvante cavale new-yorkaise qui s’annonce.
Un scénario peu courant
Howard vend des pierres précieuses, espérant obtenir le gros lot, la vente ultime, celle qu’il a toujours souhaitée. Mais surtout, Howard parie, imprime et raconte des mensonges. Il est happé bien avant le début de l’histoire dans un tourbillon d’astuces et d’escroqueries alors qu’il observe son monde se retourner contre lui, juste au moment où il est sur le point de conclure la vente de toute sa vie.
La course contre la montre qui commence s’achèvera avec le dernier plan de Uncut Gems, nous laissant épuisés et subjugués par la pléthore d’idées et d’énergie crachées par les cinéastes. Car les créateurs de Mad Love in New York et de Good Time, s’ils ont toujours été dans la mouvance d’un Cassavetes et désireux d’imiter le tourbillon créatif de la scène new-yorkaise des années 70, ont atteint un niveau de maîtrise qui leur permet de raconter une histoire avec une intensité toujours plus grande.
Attachés au dos d’un manipulateur qui a échoué, tentant d’éviter l’inévitable punition due à son charme, les frères passent tout le film sur le plancher, constamment en pleine vitesse. Alors que chaque nouvelle scène montre toute l’étendue de la toile dans laquelle notre protagoniste est pris, et déclenche une nouvelle accélération, la caméra de Safdie parvient à capter la férocité, sans céder à la panique.
La première ligne est toujours le mot, épelé dans des lignes ciselées et un flux étrangement lisse que le montage se force à suivre dans l’ordre qu’il essaie de mieux capturer, ces silhouettes fatiguées, ces âmes pourries, ces corps dont on ne sait pas s’ils désirent ou s’ils se dirigent vers un horizon incandescent qui les appelle à tout prendre.
Un film sous haute tension
Les deux frères parviennent à donner de la vie à l’histoire, avec un ton sombre qui laisse peu de chance au lecteur d’être surpris (à deux exceptions près). Grâce à leur capacité à écrire avec une finesse brutale qui crée une tension, ils transforment la peau couverte d’une fine couche de sueur en une arène déchirante avec un visage saisi par les lumières vives de la piste de danse.
Et ce, même lorsqu’ils ne parviennent pas à transcender des pièces aussi absurdement incompréhensibles que La Always de Gigi d’Agostino, tout en interprétant l’image d’un milliardaire sexuellement sexy comme une échappée de lampe.
Les contraires s’attirent et s’unissent rapidement, formant un enchevêtrement dont on ne peut s’échapper, un peu comme l’histoire d’Howard qui s’est échappé lors d’une réunion de famille pour se réfugier dans la savane des lions, qui finira par le recracher au point de départ comme un Sisyphe bon marché.
Si les Safdy captent si puissamment la frénésie new-yorkaise, c’est parce que leur énorme film tourne autour d’un volcan qu’est Adam Sandler, dont on ne sait pas s’il est sur le point de s’effondrer ou de peindre les vitrines du Diamond District avec ses organes viciés. La partition , jouée par l’acteur avec une telle intensité que nous ne nous sommes jamais rencontrés et nous ramène toujours au début du film.
Avec cette plongée terrifiante dans un estomac incontrôlable, se pliant pour rester en vie, mais refusant de partir jusqu’à la dernière image pour quitter le jeu. C’est ce bourdonnement unique, tel une lampe stroboscopique allumée à fond, qui fait de Uncut Gems une réussite envoûtante.