L’idée de présenter Suspiria comme une version simple (ou basique) du film de Dario Argento est une grave erreur. Dès le début, le film est présenté sous un angle totalement différent de l’original. Il n’est pas nécessaire de conserver le mystère entourant le mal ou l’identité mystérieuse des professeurs de la célèbre école de danse.

Rapidement et pour être sûr de ne pas empiéter sur l’œuvre originale, le spectateur prend immédiatement conscience de la sorcellerie générale facilitée par ces professeurs étouffants et contrôlants.

Un long métrage très lié au roman

Au fil du temps, plus qu’une simple relecture des œuvres du réalisateur Les Frissons de l’angoisse, Suspiria de Luca Guidagnino se révèle être une version étendue du roman de Thomas De Quincey : Suspiria de Profundis.

La structure littéraire du film, divisée en six parties et un épilogue, n’est pas un hasard, et la légende des trois sœurs (Mater Lacrimarum Mater Tenebrarum et Mater Suspiriorum) est au cœur de l’œuvre de l’Italien.

Suspiria de Dario Argento était, bien que basé sur le même conte, davantage un film d’atmosphère. Le film, qui mettait en vedette Jessica Harper (qui fait une petite apparition dans la nouvelle adaptation), était basé sur ses visuels baroques, ses couleurs vives et ses effets de lumière, ainsi que sur la musique effrayante de Goblin.

Dans cette adaptation, Luca Guadagnino se consacre évidemment à la création d’une expérience sensorielle palpitante, mais il vise surtout à créer un univers entier autour de la légende des trois Mangeurs. C’est pourquoi l’histoire de Susie Bannion est plus spécifique.

Les détails de son enfance américaine sont, par exemple, décrits dans quelques flashbacks rapides. Le développement continu de la jeune fille au cours des deux heures et demie du film nous permet d’attirer l’attention sur des thèmes importants : du chagrin à l’émancipation sexuelle, de la force à l’immuabilité de la maternité.

De nombreux personnages charismatiques

Au lieu de se concentrer sur l’héroïne, le scénario explore les nombreux personnages qui gravitent autour de la jeune danseuse américaine. En outre, au lieu de se concentrer uniquement sur le point de vue des élèves de l’école ainsi que de Patricia (Chloe Grace Moretz) et Sarah (superbe Mia Goth), le film est capable de se glisser dans le monde intime des professeurs.

Le développement du personnage du docteur Jozef Klemperer, interprété par le mystérieux Lutz Ebersdorf (qui est en fait Tilda Swinton dans le rôle d’un homme âgé), est un autre aspect du récit. Sa présence nous permet d’examiner les événements qui se déroulent dans le monde qui entoure l’école de danse.

En particulier, les années 1970 à Berlin étaient une période de division par son mur et les actes terroristes de la Bande à Baader et les souvenirs douloureux de la Seconde Guerre mondiale et des déportations de Juifs. Cet approfondissement des personnages ainsi que cet élargissement de l’histoire sont fascinants.

Entre fiction et politique

Selon toute vraisemblance, tout ce qui est centré sur la légende des sorcières est engageant. Le développement méticuleux de nombreux personnages féminins au sein du récit insuffle un air révolutionnaire à Suspiria. Le réalisateur de Call Me by Your Name jette certainement un regard sur le climat politique actuel pour créer un film massif très féministe et anti-patriarcal.

Il n’est pas surprenant qu’au final, ce soient les sujets relatifs au Docteur – le personnage masculin principal qui est joué par une femme, ce qui est le symbole évident d’une œuvre féministe dans sa conception – qui apparaissent non professionnels. Les liens historiques établis entre les activités de l’école et les événements qui se sont déroulés à Berlin (ou qui sont désignés comme le nazisme de la Seconde Guerre mondiale) ne sont pas vraiment opportuns (voire totalement hors sujet).

Malgré ses quelques défauts, le scénario plus détaillé et plus complexe de David Kajganich apporte le plus grand bénéfice à cette imitation. En plus de renforcer la mythologie du surnaturel, le réalisateur italien réalise une performance remarquable derrière la caméra. S’il préfère un style de photographie minimaliste et grisâtre en contraste avec l’œuvre vibrante et éclatante d’Argento, Luca Guadagnino emprunte beaucoup au maître du Giallo dans la réalisation de Suspiria.

Le cinéaste emploie des cadrages inquiétants ainsi que des effets de lumière sophistiqués et un montage rapide pour créer une tension perpétuelle et toujours croissante. Il s’appuie ensuite logiquement sur les chansons composées par le chanteur de Radiohead, Thom Yorke (à la fois simples et rêveuses) et, en particulier, sur un paysage sonore organique incroyablement troublant.

Ainsi, des séquences de découvertes bizarres (dont une dans les recoins sombres d’une classe) à une performance de danse époustouflante (malheureuse Elena Fokina) en passant par les cauchemars terrifiants de Susie, Suspiria regorge de trésors sonores et visuels époustouflants.

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