Éliminons instantanément tout suspense : je n’aime pas l’œuvre de La Marseillaise de Renoir. La messe est dite, le jeu est terminé et l’affaire est rangée. Que faisons-nous maintenant ?

À présent que nous avons évacué la question de l’affect, pour une fois, revêtons une panoplie analytique rigoureuse et examinons l’un des plus importants échecs publics de son auteur. En tant que « réaliste », l’œuvre de Renoir a suscité presque autant d’observations esthétiques que politiques.

Film consacré à la Révolution française, La Marseillaise n’est pas un cas unique (de quel jeu ? ). À travers La Marseillaise, Jean Renoir se penche sur le quotidien de la Révolution en utilisant une loupe. La passion du cinéaste réside avant tout dans les histoires d’individus qui composent l’épopée de l’Histoire.

Une histoire avant tout politique

Film polyphonique, La Marseillaise suit l’histoire d’un groupe de rebelles marseillais et explore les luttes de l’aristocratie parisienne. En combinant les points de vue de cette manière, le scénariste a peut-être voulu présenter un portrait authentique d’une époque révolue ?

Le film est un peu personnel, et évite les parties éblouissantes des batailles des Tuileries, ou de la prise de la Bastille. La caméra est parfois perdue dans une transe, apparemment incapable de capter l’intensité de ces batailles confuses et incertaines.

Mais elle s’attarde volontiers sur les choses banales, comme la découverte d’une brosse à dents par le roi de France ou l’introduction de tomates dans la capitale. Renoir répétait souvent : « Les préoccupations plastiques n’ont rien à voir avec le travail de cinéaste »(1).

La vérité est qu’il ne s’inscrit pas dans la lignée des techniques perfectionnistes. Si les dialogues sont le fruit d’une longue étude, si le décor a été recréé à partir de documents du passé et si les costumes dégagent un parfum d’authenticité, la caméra de Renoir s’efforce de ne pas sacrifier le contenu qu’elle capte et d’éviter toute focalisation lyrique.

En ce sens, La Marseillaise anticipe presque les objectifs de Roberto Rossellini et de La Prise de pouvoir de Louis XIV, un téléfilm de 1966 conçu comme un récit brut de la monarchie régnante.Si l’on prend le réalisme comme un aspect scientifiquement défini du mot – d’esthétique, alors le film entre dans la catégorie des films réalistes.

Si l’on décide du niveau de réalisme d’une œuvre en fonction de sa position politique et de sa moralité, alors il est évident que Renoir a présenté avec La Marseillaise un film à orientation politique, un film déterminé par toutes les implications que ce terme implique.

Nous savons que Jean Renoir était davantage qu’un simple mécène du Front populaire. Fervent militant, il ne cachait pas ses profondes convictions politiques ni son amitié pour des intellectuels communistes comme Noemie Martel-Dreyfus Jacques Becker ou Jean-Pierre Dreyfus qui participèrent activement à la création de La Marseillaise (financée en partie par la CGT).

Une forte influence politique de gauche

Il est difficile de nier l’influence du Front populaire sur le projet de Renoir. L’histoire semble suivre une structure prédéterminée et est basée sur les principaux thèmes du P.C.F. L’univers cinématographique (le XVIIIe siècle et la Révolution française) peut être considéré dans la perspective des objectifs marxistes.

Le film commence par présenter la relève de la garde royale le soir du 14 juillet, une cérémonie élaborée qui est formelle jusqu’à devenir absurde. Chaque geste, chaque position des soldats explore l’absurdité de la monarchie.

Le cinéaste oppose ce mode opératoire désorientant à la ferveur révolutionnaire affichée par l’armée de Valmy, saisie comme un groupe de personnes unies par une cause commune. Pour le cinéaste, l' »ordre révolutionnaire » est une pierre d’achoppement à toute tentative de création d’un système corporatiste, ou de hiérarchisation générale.

La force de Valmy est présentée comme un groupe diversifié de personnes irréductibles animées par un but libertaire partagé. C’est là que le rejet du fantastique et le sens du détail prennent toute leur force : « La salle du premier, qui était dominée par les intellectuels socialement libéraux dans le style de Mai 36, était mécontente de l’absence d’effets dramatiques et de beaucoup de lyrisme.

Cependant, la chaleur qui est l’essence de toutes ces peintures, est susceptible de les prendre directement au cœur d’une audience publique qui est populaire pour parler dans sa propre langue  » (2).

Oui… tout de même, je crois que, même si je n’aime pas cette expression exagérée (dorénavant, je mettrai le mot entre guillemets). La Marseillaise n’est pas un film réaliste, au sens où un film réaliste existe, puisqu’il dépeint la Révolution française… il est « réaliste » parce que la fiction de la Révolution française cache, à peine voilée, l’image d’une époque secouée par d’intenses débats idéologiques et alimentée par un désir insatiable de promotion sociale : La France des années 30.

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