Faites attention aux mains de Marie dans le premier film hérissé d’Ellie Foumbi Notre Père, le Diable. Ils en révèlent souvent plus sur la protagoniste d’acier que sur ses expressions faciales. Il existe une méthode selon laquelle elle saisit une carotte d’une main et tient un couteau en acier inoxydable dans l’autre. Ses mouvements sont rapides, précis et rythmés. Elle apporte une énergie similaire à celle de couper une miche de pain, de brandir un cran d’arrêt et de fendre la pâte.

«Le corps humain ne me dérange pas», dit Marie, interprétée par une excellente Babetida Sadjo, à sa pensionnaire préférée, Jeanne (Martine Amisse), au début du film. Ses lèvres s’enroulent en un sourire rare et généreux. Pourquoi sa réponse bienveillante à un sentiment jetable sur la vieillesse ressemble-t-elle à une confession accablante ?

Notre Père, le Diable

L’essentiel

Un début passionnant.

Date de sortie: Vendredi 25 août
Casting: Babetida Sadjo, Souleymane Sy Savané, Jennifer Tchiakpe, Franck Saurel, Martine Amisse
Réalisateur-scénariste : Ellie Foumbi

1 heure 47 minutes

Notre Père, le Diable est une étude astucieusement construite sur le traumatisme et une étude de caractère séduisante. Après sa première au Festival du Film de Venise en 2021 et un défilé de distinctions critiques – dont une nomination aux Independent Spirit Awards – le film fait ses débuts en salles à New York vendredi et à Los Angeles peu après.

Foumbi s’approprie les conventions du thriller pour nous attirer dans les profondeurs de la hantise de Marie – un voyage de nerfs à vif, d’énergies nerveuses et de comportements terrifiants. Ce n’est qu’une fois que nous nous sommes installés dans son point de vue, que nous avons pris une sorte de réconfort tordu dans sa routine, que le film change de cap. Foumbi a d’autres projets pour nous. Ce n’est pas une histoire prévisible.

Marie, réfugiée ouest-africaine, est une figure impénétrable. Elle ne ressemble pas aux protagonistes africains typiques des films sur la migration. Il n’y a pas ici de grands récits sentimentaux sur les rêves et la réinstallation. Il n’y a pas non plus de retours en arrière sur la vie dans l’ancien pays ni de déclarations nostalgiques d’un avenir meilleur dans le nouveau. Notre intimité avec Marie se gagne grâce à des aperçus subtils de ses cicatrices psychiques plutôt qu’à des images romancées de lutte économique.

Elle travaille comme chef dans une maison de retraite et regarde des films avec sa meilleure amie Nadia (Jennifer Tchiakpe) chaque semaine. Elle passe quelques jours et soirées dans un café du coin, où un serveur nommé Arnaud (Franck Saurel) tente, en vain, de coucher avec elle. Les rythmes de la vie de Marie sont relativement banals et pourtant, dès le premier plan, il est évident qu’elle est hantée. Par ce qui se révèle lentement et avec un contrôle expert.

Les ennuis commencent avec le Père Patrick (joué avec une précision étrange par Souleymane Sy Savané), qui surgit apparemment de nulle part. Lorsqu’un jour Marie se présente au travail, elle trouve ses collègues et les résidents ravis par le sermon du curé. « Même si nous ne pouvons pas changer le passé, nous devrions plutôt demander à Dieu de changer notre perception de celui-ci », dit-il à son auditoire. Le son de sa voix – calme, baryton, sonore – choque Marie, qui s’évanouit aussitôt.

Même si d’autres insistent sur le charme et la gentillesse du Père Patrick, Marie ne lui fait pas confiance. Il y a un côté reptilien dans son charisme, et Marie est sûre de le connaître. Elle veut prouver que cette sainte figure est une relique de son passé douloureux.

Lorsqu’il s’agit de structurer et de rythmer les couches de l’obsession de Marie, Foumbi fait preuve d’une retenue impressionnante. Notre Père, le Diable commence comme un thriller de vengeance. Une rencontre troublante dans la cuisine de la maison de retraite amène Marie à enlever le père Patrick et à l’héberger dans un cottage isolé. Là, elle le tourmente et l’interroge, reconstituant des scènes d’abus de son enfance. Avec le temps, l’histoire de Marie prend tout son sens : le jeune chef était un enfant soldat, soumis à des niveaux de torture cauchemardesques masqués comme une initiation divine.

La performance de Sadjo est cruciale pour maintenir la vision et le contrôle de Foumbi. L’actrice complique Marie avec des signaux physiques, construisant un personnage curieux et puissant. Les mains sont critiques. C’est à travers eux que nous voyons les efforts de Marie pour maîtriser les effets psychologiques de son passé, pour transformer le dégoût de soi en une sorte de pouvoir. Le directeur de la photographie Tinx Chan nous laisse entrer avec son utilisation généreuse des gros plans et le montage de Roy Clovis assemble ces angles intimes avec des plans plus larges. Lorsque Marie roule des lanières de steak le lendemain, ses mains gantées les enfonçant délicatement, cela contraste avec sa prise agressive sur la passoire qu’elle brandissait pour faire perdre connaissance à Patrick dans une scène précédente.

Notre Père, le Diable explore les changements entre fragilité et insensibilité pour comprendre comment le passé vit dans le corps. Plus Marie tient le prêtre en otage, plus elle se laisse consumer par lui. Sa relation avec Patrick repose sur des reconstitutions commerciales de leur enfance : Marie pousse Patrick à avouer sa véritable identité, tandis que ses souvenirs dépendent d’un déni véhément. Ensemble, leurs flashbacks forment un mélange de souvenirs désespérés, approfondis et profondément humains. Quelque part dans leur refrain se trouvent des notes de guérison, et le récit de Foumbi insiste gentiment pour les rendre plus fortes.

Dans des mains inférieures, tirer sur ces fils curatifs dénouerait l’histoire, poussant Notre Père, le Diable dans un territoire sentimental irréaliste. Mais Foumbi crée une tension sophistiquée dans le parcours de Marie et oblige le personnage à constamment renégocier ses objectifs. Il met également en scène une confrontation entre le spectateur, le protagoniste et l’otage, se demandant : comment apaiser une âme lésée en quête de salut ? Les conclusions qui Notre Père, le Diable en fin de compte, les tirages sont puissants, rédempteurs et émouvants.

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