Les scientifiques ont prouvé que le cerveau humain se développe plus rapidement entre la naissance et l’âge de 5 ans qu’à tout autre moment de la vie. Et pourtant, en matière de cinéma, il n’y a probablement aucune autre période plus difficile à représenter à l’écran. Des films comme Regardez qui parle et Le bébé patron ont certainement essayé et, dans une certaine mesure, réussi à capturer les joies et le chaos de la petite enfance. Mais ils parviennent rarement à canaliser le sentiment de découverte, de mystère et de terreur de cette époque.
Dans le charmant nouveau film d’animation français La petite Amélie ou le personnage de la pluie (Amélie et la métaphysique des tubes), ces sentiments sont au centre d’une histoire qui privilégie les sensations au détriment de la narration, plongeant le spectateur dans le cerveau d’un enfant qui s’éveille pour la première fois au monde qui l’entoure. Le rebondissement, pour ainsi dire, du premier long métrage de Maïlys Vallade et Liane-Cho Han, c’est que l’enfant en question est une jeune fille belge qui a grandi dans le Japon rural des années 1960, un lieu rempli d’innombrables merveilles naturelles, mais aussi marqué par les cicatrices d’une guerre majeure qui ne sont pas encore complètement cicatrisées.
La petite Amélie ou le personnage de la pluie
L’essentiel
Un film pour enfants haut en couleur qui aborde des thèmes sérieux.
Date de sortie : Vendredi 7 novembre
Casting: Loïse Charpentier, Victoria Grobois, Yumi Fujimori, Cathy Cerda, Marc Arnaud, Laetitia Coryn
Directeurs: Maïlys Vallade, Liane-Cho Han
Scénaristes : Liane-Cho Han, Aude Py, Maïlys Vallade, Eddine Noël, d’après le roman d’Amélie Nothomb
Classé PG, 1 heure 17 minutes
Adapté du roman autobiographique d’Amélie Nothomb (Peur et tremblement), le film donne parfois l’impression que Terrence Malick rencontre Hiyao Miyazaki pour les gamins, combinant subjectivité ludique et envolées surréalistes. Mais il maintient également un fil conducteur suffisamment simple pour que n’importe quel enfant puisse le suivre, montrant comment son héroïne titulaire émerge littéralement de sa bulle pour découvrir les plaisirs et les dangers de la vie réelle.
« Votre enfant est un légume », dit un médecin aux parents d’Amélie (Loïse Charpentier), 2 ans, qui vit dans une maison de campagne isolée nichée dans les forêts de la pittoresque région de Kobe au Japon. Et c’est vrai : la petite fille ne parle pas et ne réagit pas beaucoup au début, regardant silencieusement le monde passer depuis son siège gonflable jusqu’à ce que deux événements cruciaux la sortent de sa stupeur. Le premier est un tremblement de terre qui bouleverse la maison. La seconde est l’arrivée de la grand-mère d’Amélie (Cathy Cerda), qui arrive de Bruxelles avec le plus beau cadeau qu’un enfant puisse espérer : du chocolat blanc belge directement de la source.
Après ces deux chocs du système, Amélie s’ouvre soudainement, révélant un don pour le langage et l’observation qui fait d’elle non seulement la préférée de grand-mère, mais aussi une compagne chérie de sa nounou japonaise Nishio-San (Victoria Grobois), avec qui elle passe la plupart de son temps. Le seul hic dans la nouvelle vie enchanteresse de la jeune fille est une propriétaire plus âgée (Yumi Fujimori) qui hante la propriété comme un fantôme dans un film de Kenji Mizoguchi, effrayant Amélie chaque fois qu’elle s’égare dans la flore et la faune environnantes.
Collaborer sur leur premier long métrage après avoir travaillé sur des projets d’animation gaulois de grande envergure comme Le Petit Prince, L’illusionniste et J’ai perdu mon corpsVallade et Han privilégient une palette de couleurs explosives, sans aucune ligne séparant une teinte d’une autre. L’effet ressemble plus à une aquarelle – ou à une estampe japonaise – en mouvement qu’à un dessin animé traditionnel pour enfants, mettant en valeur les merveilles qu’Amélie découvre en s’aventurant hors de chez elle.
Une séquence remarquable montre la famille assistant à un festival annuel au cours duquel des manches à air en forme de carpe remplissent le ciel tandis que des bancs de carpes se régalent sauvagement de pain dans la mer. Une autre scène montre Nishio-San emmenant Amélie à un rituel du jour des morts, avec des centaines de lanternes lumineuses flottant sur une rivière pour marquer l’occasion.
La mort semble planer autant sur l’existence naissante de la jeune fille que sur la vie. Après avoir vu son père (Marc Arnaud) fondre en larmes, elle apprend que sa grand-mère est décédée en Belgique, la forçant à accepter qu’elle ne reverra plus jamais cette femme. Grâce à Nishio-San et à sa méchante logeuse, elle découvre également les pertes dévastatrices causées par la Seconde Guerre mondiale – des pertes que certains habitants accusent des Européens comme Amélie.
Ce n’est pas une information facile à digérer pour un enfant, et les cinéastes ne rendent pas toujours leurs thèmes lourds aussi amusants et agréables au goût que dans un film Pixar. Ils optent plutôt pour le type de réalisme que l’on retrouve dans les adaptations manga comme la chronique d’Hiroshima, Dans ce coin du mondequ’ils citent dans les notes de presse, même si leur film est finalement plus édifiant.
En effet, le film a rencontré un succès modeste auprès du public lors de sa sortie locale, enregistrant plus de 200 000 entrées après sa première à Cannes et sa compétition à Annecy. Comme son homologue français Arcque Neon sortira le 14 novembre, Petite Amélie trouve le juste équilibre entre fantasmes d’enfance et réalités d’adultes, entre imagination et vision plus pessimiste du monde tel qu’il est. Les deux films prouvent non seulement que la France reste un incubateur de longs métrages d’animation très originaux – les trois réalisateurs sont issus de l’école d’arts visuels des Gobelins à Paris – mais que les enfants peuvent toujours être d’importantes sources d’inspiration créative, si on les prend au mot.