De nombreux documentaires intéressants parviennent à aborder un sujet sous tous les angles, offrant un portrait complet d’un problème social spécifique, d’un personnage historique ou d’un phénomène culturel. Beaucoup plus rares sont ceux qui dépassent le sujet pour révéler quelque chose de profondément et d’essentiel humain, utilisant l’appareil photo pour dévoiler des vérités qui ne nous sont pas toujours visibles.

Le dernier film du réalisateur français Nicolas Philibert, Chez Averroès et Rosa Parks, est l’un de ces films. En apparence, il s’agit d’une plongée longue et immersive dans deux services psychiatriques de l’hôpital Esquirol, situé dans une banlieue verdoyante de la banlieue parisienne. Grâce à des séances prolongées entre les patients et leurs médecins, nous apprenons à connaître un groupe de personnes atteintes de différents niveaux de maladie mentale.

A Averroès et Rosa Parks

L’essentiel

Attachant et révélateur.

Lieu: Festival du Film de Berlin (Spécial Berlinale)
Directeur: Nicolas Philibert

2 heures 23 minutes

En donnant aux patients beaucoup de temps et d’espace pour se mettre à nu devant la caméra, Philibert nous donne accès aux côtés les plus sombres de la psyché humaine, décrivant la maladie mentale avec un sens inné de compassion et de compréhension. Nous finissons par sympathiser avec les patients parce que nous les considérons comme des personnes, pas seulement comme des patients. Et nous apercevons un aperçu rare et bien réel de la fine ligne qui nous sépare parfois d’eux.

Le deuxième volet d’un triptyque débuté en 2022 avec Sur l’Adamantportrait d’un centre d’art-thérapie sur la Seine à Paris, Chez Averroès et Rosa Parks suit certaines des mêmes personnes que nous avons rencontrées pendant ce film, mais cette fois alors qu’elles reçoivent un traitement plus direct. En utilisant une approche mouche-sur-le-mur qui rappelle le travail de Frederick Wiseman, ainsi que de son compatriote français Raymond Depardon — dont le doc de 2017, 12 joursse déroule également dans un hôpital psychiatrique – le film se compose de plusieurs séances de thérapie individuelles ou de groupe, entrecoupées de plans des patients errant dans l’enceinte de l’établissement.

Comme dans ses autres films, dont la Chronique de l’école de 2002, Être et avoir, Philibert a exercé les fonctions de directeur de la photographie et de montage, et il a un don particulier pour capturer la vie sans paraître l’interrompre. Ici, les patients parlent librement et volontiers à leurs psychiatres sous nos yeux, décrivant des symptômes de dépression, de paranoïa et d’autres troubles plus graves. Presque tous souhaitent « revenir à la réalité de la vie », mais ils n’en sont pas tous capables. Ils comprennent quels sont leurs problèmes, parfois avec acuité, mais cela ne signifie pas qu’ils peuvent les surmonter.

«Je veux réussir quoi qu’il arrive», déclare dès le début un patient plein d’espoir, même s’il ne semble jamais quitter l’établissement par la suite. Un autre patient – ​​un brillant professeur de philosophie titulaire de plusieurs doctorats – cite les écrits d’Aristote et de Nietzsche, se décrivant comme un « caméléon métaphysique ». Et pourtant, son intellect supérieur ne l’empêche pas de rester à l’hôpital pendant plusieurs mois – un fait qu’il attribue à un mauvais trip au LSD lorsqu’il était jeune, affirmant qu’il « a payé le prix fort pour voir Dieu ».

Même ceux qui sont à peine capables de communiquer – y compris une femme plus âgée qui s’immole tragiquement vers la fin du film – parviennent à transmettre quelque chose sur leur état, guidés par une poignée de médecins armés d’un calme extrême. Lorsqu’ils parlent aux patients, ils peuvent être à la fois directs, ludiques, cliniques et désarmants. Ils ont surtout un sens aigu de l’observation et une ouverture à la souffrance humaine qu’ils rencontrent, qualités que semble posséder Philibert.

Chez Averroès et Rosa Parks ne révèle pas de solutions révolutionnaires aux troubles des patients, mais montre plutôt comment un mélange de thérapies peut apporter un réconfort et éventuellement une issue. Les médecins essaient autant que possible d’intégrer leurs patients dans des situations réelles, qu’il s’agisse d’acheter du café dans un café de fortune ou de participer à des discussions de groupe politiquement chargées sur leur situation en matière de soins de santé. Plus les patients sont traités comme des personnes normales, plus ils agissent apparemment normalement.

Dans la séquence d’ouverture du film, qui présente des images aériennes tournées avec un drone, quelqu’un décrit le complexe Esquirol comme un exemple typique d’architecture néoclassique utilisée pour « les prisons, les hôpitaux et les prisons ». Il y a des moments dans le film de Philibert où l’installation peut effectivement ressembler à ces trois choses. Mais la plupart du temps, on a l’impression que c’est un endroit où chacun, même les plus démunis, peut s’exprimer.

A lire également