Dire qu’Emmanuel Mouret n’a qu’une seule idée en tête depuis qu’il a commencé à réaliser des longs métrages il y a deux décennies serait probablement un euphémisme. Si l’on prend uniquement les titres en anglais de son œuvre prolifique — 11 longs métrages, dont le dernier — on a une assez bonne idée du sujet qui lui est le plus cher : Devrions-nous nous embrasser ?, S’il te plaît, s’il te plaît,, L’art d’aimer, Les amoureux, Caprice, Les amours, Journal d’une liaison passagère…
La question est peut-être de savoir si quelque chose mais L’amour et le sexe intéressent Mouret. Après avoir réalisé quelques comédies burlesques au début, le réalisateur a décidé de se concentrer presque exclusivement sur les relations amoureuses. Et si ses premiers films s’inspiraient à la fois de Buster Keaton et de Jacques Tati, son travail depuis s’inspire largement des univers d’Eric Rohmer et de Woody Allen de la période intermédiaire – jusqu’à utiliser la police Windsor, marque de fabrique de Woodster, dans son générique d’ouverture.
Trois amis
L’essentiel
L’amour en fait.
Lieu: Festival du Film de Venise (Compétition)
Casting: Camille Cottin, Sara Forestier, India Hair, Damein Bonnard, Grégoire Ludig, Vincent Macaigne, Eric Caravaca
Directeur: Emmanuel Mouret
Scénaristes : Emmanuel Mouret, Carmen Leroi
1 heure 57 minutes
L’amour et le sexe sont certainement dans l’esprit de tout le monde Trois amis (Trois amies), qui suit un trio de femmes intellectuelles très instruites et plutôt aisées qui traversent simultanément de graves crises relationnelles, au point que leurs histoires finissent par s’entremêler. Magnifiquement réalisé et interprété avec tact, il montre Mouret atteindre un style de pointe qu’il a perfectionné de film en film, ou d’un rendez-vous à l’écran à l’autre.
Mais le film ressemble aussi à une caricature de ce que beaucoup imaginent de la vie amoureuse à la française : quand les gens ne trompent pas leur moitié, ils passent beaucoup de temps à en parler. Ou alors ils font les deux. Et alors que les premiers films de Mouret offraient une bonne dose de comédie visuelle, son nouveau long-métrage est si verbeux qu’il en devient épuisant.
Un ajout bienvenu dans Trois amis est le personnage de Victor (Vincent Macaigne), qui raconte l’histoire depuis l’au-delà. Au début du film, la relation de longue date de Victor avec Joan (India Hair), une collègue enseignante dans un lycée de Lyon, est soudainement mise à mal lorsque Joan se rend compte qu’elle n’est plus amoureuse de lui. Désespéré et complètement déprimé, Victor meurt peu après dans un accident de voiture, laissant Joan seule.
L’intrigue qui suit la longue période de culpabilité et de deuil de Joan, puis son éveil progressif à la possibilité d’une nouvelle histoire d’amour – ou de plusieurs nouvelles histoires d’amour – est la plus émouvante et la plus crédible des trois intrigues du drame de Mouret. Dommage qu’il ne se soit pas davantage concentré sur Joan tout au long du film, au lieu de tomber dans les clichés en s’attardant sur les histoires de ses meilleures amies, Alice (Camile Cottin) et Rebecca (Sara Forestier).
La première enseigne également dans la même école et entretient depuis longtemps une relation stable avec Éric (Grégoire Ludig), un homme qui, selon elle, l’aime plus qu’elle ne l’aime. « L’amour synchronisé est très rare », dit-elle à ses meilleurs amis, justifiant pourquoi il vaut mieux trouver quelqu’un avec qui on se sent bien au quotidien plutôt que de se lancer dans une histoire d’amour torride remplie de drames. Elle ne sait pas qu’Éric a une liaison avec Rebecca, une guide de musée et artiste en herbe remplie de la passion qui semble manquer à Alice.
Le simple fait de décrire ces histoires peut provoquer quelques réflexes, et même si Mouret ne les mène pas toujours là où on l’attend, les discussions sans fin sur l’amour – son attrait, son pouvoir, ses dangers – peuvent vite devenir lassantes. S’il existait un jeu à boire où il faudrait boire un verre à chaque fois qu’un personnage utilise le mot amour dans Trois amisvous finiriez par être hospitalisé pour intoxication alcoolique.
Cela ne veut pas dire que le film manque de charme, et Mouret a un talent certain pour les acteurs, qui ne doit pas être négligé. Forestier livre l’une de ses meilleures performances depuis un moment, dans le rôle d’une femme qui cherche désespérément le bonheur avec le mauvais homme. Macaigne, qui apparaît et disparaît dans l’histoire en tant que fantôme mélancolique de Victor, est plus discret que d’habitude, suscitant une certaine émotion en regardant Joan se remettre de sa mort.
Le casting est complété par Damien Bonnard, qui joue un professeur et un auteur respecté qui non seulement remplace Victor, mais qui, par coïncidence, emménage à côté de chez Joan. Et enfin, il y a Eric Caravaca, qui incarne un peintre célèbre dont Alice voit le numéro de téléphone dans un de ses rêves, l’appelant finalement et entamant une liaison à son tour.
Professeurs, artistes, écrivains, peintres – et aussi un musicien que Joan rencontre vers la fin du film – constituent ici tout l’univers de Mouret, et il semble si hermétique qu’il en devient lui aussi un cliché. Comme Woody Allen avec son Upper East (ou West) Side, le réalisateur se limite à un milieu intellectuel très spécifique, très blanc, de Lyon, une ville qui s’est diversifiée au fil des ans, notamment dans ses banlieues.
A ce stade de sa carrière, Mouret s’intéresse moins à explorer ce monde réel, que ce soit à Lyon ou ailleurs, qu’à raconter la même histoire encore et encore avec de légères variations. On peut comprendre l’attrait de cette démarche – et en termes de public français, les derniers films de Mouret ont mieux marché que les autres – mais il est peut-être temps pour le réalisateur de sortir de sa zone de confort et de s’éprendre d’autre chose.