Il n’y a rien de nouveau dans le fait que des auteurs de films célèbres réalisent des publicités télévisées, comme dans le cas de la publicité de Noël H&M de Wes Anderson. Rassemblez-vous ou celui de Martin Scorcese Rêves de rue publicité pour la marque de mode italienne Dolce & Gabanna.

Mais le réalisateur et acteur québécois Xavier Dolan, qui a connu une sorte de pause dans la production de longs métrages ces dernières années, après des chouchous de Cannes comme Maman et Ce n’est que la fin du monderevient en forme avec deux spots de courts métrages intitulés Appuyez-vous sur moi pour le géant des télécommunications Bell Canada.

Les courts métrages explorent les liens humains et la technologie avec le style émotionnel et cinématographique caractéristique de l’auteur canadien.

« Je voulais raconter une série d’histoires courtes et révéler progressivement comment elles étaient liées, non seulement par la technologie, mais aussi par le côté humain », raconte Dolan. Le journaliste hollywoodien sur les deux publicités qui durent environ deux minutes chacune, présentent trois histoires interconnectées et refont esthétiquement le réalisateur avec le directeur de la photographie de longue date André Turpin.

Le tournage des publicités de Bell Canada sur pellicule 35 mm et avec « Lean on Me » de Bill Withers comme bande originale a également occupé un Dolan intransigeant puisqu’il n’a pas terminé de long métrage depuis Mathias et Maxime projeté en compétition à Cannes en 2019. Il a réalisé un clip pour Adèle et des épisodes de la mini-série La nuit où Logan s’est réveillé.

Mais quand s’agit-il de son prochain film ? « J’ai parlé de ne pas vouloir faire des films à un certain rythme, oui, mais surtout de ne pas vouloir les faire « d’une certaine manière ». Cela signifie que si je dois rogner sur les raccourcis, faire des compromis qui nuisent à l’histoire, si je n’ai pas le temps de travailler sur le ton, les performances, la lumière, alors je ne suis tout simplement pas intéressé », a expliqué Dolan.

Alors que Bell Canada présentait son jumeau Appuyez-vous sur moi spots cette semaine dans le cadre d’une nouvelle campagne de marque, y compris avec une pièce de théâtre, Dolan a parlé à THR sur la place de son incursion dans la publicité dans son parcours évolutif de long métrage.

Cela ne ressemble pas à des publicités traditionnelles. Ils ressemblent à des courts métrages emblématiques, avec une réelle valeur de production, des cadrages larges et intégrant de la musique et des gros plans. Était-ce votre objectif ?

Merci. Je voulais raconter une série d’histoires courtes et révéler progressivement comment elles étaient liées, non seulement par la technologie mais aussi par le côté humain. Des mondes qui palpitent avec immédiateté où vous pouvez ressentir la hâte et le poids de l’existence quotidienne – les pressions réelles de vraies personnes avec lesquelles nous pouvons nous identifier, quelles que soient leurs routines, leurs circonstances ou leurs ambitions.

Je ne voulais pas d’une esthétique monolithique qui les priverait de leur individualité. Je voulais des cuisines et des bureaux distincts, des vêtements patinés, des figurants qui semblent tout juste sortir de leur propre vie – coincés sur le chemin du travail ou partout où ils se dirigent.

Vous êtes connu pour être multitâche sur vos films et contrôler presque toutes les étapes de la production. Était-ce le même exercice avec ces publicités de Bell Canada ?

Oui, c’était le cas. Je pense que la plupart des directeurs ont tendance à être impliqués dans tous les départements et à toutes les étapes. Je suis toujours un peu surpris quand cela est évoqué comme une anomalie ou quelque chose de spécifique à moi, parce que je le vois simplement comme faisant partie de ce qu’est la réalisation : être au contact des costumes, des décors, de la caméra, des objectifs. Tout cela est si intrinsèque à la narration : « Mettons ce papier peint là », « Mettons ce tapis pour l’infirmière », « Mettons ce débardeur sur ce type », « oh, il ressemble trop au débardeur de cet autre gars… non, celui-là n’est pas assez similaire maintenant. » C’est le processus que tout réalisateur qui aime diriger aime, ou devrait aimer, n’est-ce pas ?

Ces dernières années, on vous a entendu dire que vous ne souhaitiez pas continuer à faire des films les uns après les autres, comme vous l’avez fait dans vos premières années. Vous voulez prendre le temps de réfléchir. Faire des publicités sans grands acteurs français fait-il partie de cette réflexion, de votre parcours artistique ?

J’ai parlé de ne pas vouloir faire des films à un certain rythme, oui, mais surtout de ne pas vouloir les faire « d’une certaine manière ». Autrement dit, si je dois rogner sur les raccourcis, faire des compromis qui nuisent à l’histoire, si je n’ai pas le temps de travailler sur le ton, les performances, la lumière, alors je ne suis tout simplement pas intéressé. Je préfère ne rien faire. Nicolas Boileau disait : « Ce qui vaut la peine d’être fait vaut la peine d’être bien fait », ce que je traduis ici un peu mal. Mais j’ai toujours cru cela. Toute la philosophie du « Personne ne remarquera ça », ce n’est pas pour moi. Je remarquerai. Dieu le remarquera. Vous le remarquerez. Donc si je dois attendre, très bien. J’attendrai.

Est-il plus facile de mener une idée, un concept jusqu’au bout, avec un court métrage de plus de deux minutes qu’avec un long métrage ?

Pas nécessairement. C’est juste que, pour l’instant, c’est ce que je suis capable de faire. C’est l’argent qu’on me donne pour gagner et dépenser. Et c’est, en fin de compte, une histoire, et je peux la tourner sur pellicule, avec des acteurs et des artistes que je respecte, retrouver André Turpin comme directeur de la photographie, travailler avec le scénographe Alex Hercule. J’ai cru en cette publicité autant qu’en un reportage. Même différence. Sauf, peut-être, que Bell a cru à mon histoire dès le début et qu’il n’a pas eu peur. Ils ont appelé les créatifs à Montréal après mon pitch et leur ont simplement dit « Faisons de l’art putain ! » À quel point est-ce génial ? Et maintenant, ils le diffusent en salles !

Pourquoi Bell Canada vous a-t-elle accompagné? Étaient-ils à la recherche d’une nouvelle image de marque ?

Parce que je suis Canadien, je suppose ? Et oui, je pense qu’ils voulaient apporter quelque chose d’un peu plus humain, d’un peu plus sincère à la marque. Quant à la fraîcheur, je ne vois pas beaucoup de fraîcheur dans le tournage en Ektachrome 35 mm, le tournage de bus urbains bondés couverts de graffitis, de vieux taxis, de cités brutalistes, de zooms bancals, de matchs de football avec des fins hollywoodiennes. Pourtant, c’est ce que nous avons fait et ils l’ont pleinement adopté. Et je vais ressembler à un baby-boomer, mais d’une manière ou d’une autre, quand je regarde nos façons de faire prétendument modernes et sophistiquées d’aujourd’hui, je trouve un grand réconfort et même de la fraîcheur dans cette esthétique du début du siècle dernier : moins aseptisée, peut-être un peu moins conceptuelle ? Et ce n’est pas seulement une question d’esthétique, je pense. C’est une attitude. Comment nous voyons, ressentons, débattons, nous ouvrons les uns aux autres. Je crois toujours en cette attitude.

Les critiques de la technologie affirment que déconnecter son téléphone aide à se reconnecter au monde. Vos courts métrages de Bell Canada semblent faire valoir l’argument inverse. La technologie peut nous rapprocher de manière bénéfique. Si oui, que pensez-vous de la technologie qui aide les gens à rester connectés, avec leur famille et leurs amis ?

J’ai utilisé ici principalement la technologie comme prétexte, un véritable outil, oui, indispensable au quotidien. Mais encore un prétexte pour montrer que la vraie connexion commence et existe avant tout au niveau humain. Le rôle vital de la technologie aujourd’hui est évident, indéniable. J’ai grandi à une époque où, pour confirmer un rendez-vous, on s’appelait. Si personne ne répondait, on allait sonner à la porte, vous savez ! Aujourd’hui, le temps a rétréci et a été entièrement redéfini par la vitesse, la performance et l’efficacité. À bien des égards, il n’est pas possible de revenir en arrière.

Alors, où allons-nous ?

Je pense aussi que nous arrivons à un carrefour, où le temps s’arrêtera et offrira une chance de racheter les erreurs passées. Les êtres humains devront être solidaires les uns des autres, face à la manière dont les entreprises et les puissances mondiales semblent déterminées à opposer la technologie, l’IA en particulier, au travail humain. Peut-être que certains talents qui ont moins à vivre ou à espérer, ou qui n’ont raisonné qu’en termes économiques, auraient pu lui donner une chance, pour l’instant. Mais ce n’est pas possible et cela ne durera pas. L’humanité devra se choisir elle-même, et choisir les humains, si elle veut survivre. Vous pouvez affirmer que c’est complexe et ceci et cela, mais en réalité, il n’y a pas deux façons d’y parvenir.

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