La scénariste et réalisatrice française Sophie Fillières, décédée tragiquement l’année dernière d’un cancer à l’âge de 58 ans, n’était pas étrangère à la représentation de situations maniaques à l’écran.

Son genre de prédilection était la comédie et dans des films comme Gentille (2005), Excusez mon français (2009) et Quand Margaux rencontre Margaux (2018), elle utilise le prisme de l’humour pour dépeindre des femmes traversant des crises personnelles majeures, qu’elles impliquent leur vie amoureuse turbulente ou l’excorcisme de leurs propres démons intérieurs. Les films bavards, désordonnés et décalés de Fillières se jouent comme des versions parisiennes plus sombres des films de Woody Allen, et ils inspireront une génération de jeunes auteurs féminines comme Justine Triet, dont l’œuvre oscarisée Anatomie d’une chute Fillières a joué un petit rôle dans.

Cette vie qui est à moi

L’essentiel

Brutalement honnête et parfois hilarant.

Lieu: Festival de Cannes (Quinzaine des Réalisateurs)
Casting: Agnès Jaoui, Angelina Woreth, Édouard Suplice
Réalisateur, scénariste : Sophie Fillières

1 heure 39 minutes

Une crise personnelle majeure guide le dernier long métrage du réalisateur, Cette vie qui est à moi (Ma Vie Ma Gueule), qui met en vedette Agnès Jaoui dans le rôle d’une écrivaine luttant contre sa maladie mentale avec beaucoup d’esprit et pas mal de sérieux. Le personnage de Jaoui, à qui l’on donne le nom absurde de Barberie Bichette (une sorte de jeu de mots en français), semble être un substitut de la cinéaste elle-même. Elle est intelligente et créative mais aussi instable, et le film raconte minutieusement sa dépression psychologique, son hospitalisation et son éventuel rétablissement d’une manière très réaliste, tout en déclenchant quelques blagues décentes dans le processus.

«J’ai 55 ans et je ne sais toujours pas quelle est ma nature», explique très tôt Barberie à son psy, dans un film qui devient à la fois un voyage de découverte de soi et une descente dans l’enfer quotidien de la dépression chronique. Jaoui, dont l’interprétation parfaite semble avoir été calquée sur celle de la défunte réalisatrice elle-même, suscite notre affection dès la scène d’ouverture, dans laquelle elle tente de commencer à écrire son nouveau roman (intitulé Ma vie, mon vilain visagequi est aussi le titre français du film) et n’arrive même pas à décider quelle police utiliser.

Fillières parsème le récit de gags si révélateurs alors que nous regardons Barberie sombrer progressivement dans un abîme. Elle croise à un moment donné la route de sa fille adolescente sarcastique (Angélina Woreth), dans une scène hilarante et cruelle se déroulant dans le jardin du Luxembourg, et passe du temps avec son fils serviable (Édouard Suplice) et sa sœur nonchalante (Valérie Donzelli). Mais en tant que femme célibataire d’un certain âge, Barberie passe la plupart du temps seule.

Elle semble coincée dans un profond brouillard de folie et de solitude, et Cette vie qui est à moi semble nous demander s’il y a parfois une réelle différence entre les deux. Barberie finit par s’effondrer lorsqu’elle rencontre un homme (Laurent Capelluto) qui n’est peut-être pas une vieille flamme, ce qui la pousse à un long séjour dans un établissement psychiatrique où elle se débat avec le personnel et tente de renouer avec ses enfants.

La séquence de loin la plus touchante du film se produit lorsque la famille de trois personnes se réunit enfin à la clinique, révélant que malgré toutes les excentricités de Barberie – et elle en a beaucoup – elle est aussi une mère aimante qui peut avoir le cœur brisé comme le reste d’entre nous. . Fillières dépeint sa maladie mentale avec à la fois compassion et complexité, montrant comment Barberie continue de s’efforcer et d’échouer à vivre comme une personne « normale ». Elle continue également de se demander, dans ses pensées, ses notes et ses écrits, si la normalité existe.

Après sa libération, Barberie s’envole pour l’Angleterre pour renouer avec ses racines – elle y passait ses étés lorsqu’elle était enfant – et peut-être pour recommencer sa vie, sautant d’une ville balnéaire pittoresque aux hautes terres pluvieuses du nord. Le troisième acte vacille trop pour vraiment fonctionner, et dans l’ensemble, Cette vie qui est à moi Cela ressemble plus à une sorte d’autofiction intime et très personnelle qu’à une histoire entièrement développée, ce qui signifie qu’elle plaira principalement à la petite mais dévouée base de fans français du réalisateur.

Le film est aussi une sorte de who’s-who du cinéma d’art et d’essai français, avec les apparitions de l’acteur-réalisateur Donzelli, de l’acteur Emmanuel Salinger (qui a joué dans les premiers longs métrages d’Arnaud Desplechin) et de la star du cinéma d’auteur-chanteur Philippe Katerine. Tous se retrouvent dans ce qui deviendra malheureusement le chant du cygne de Fillières, accompagnant Jaoui dans une performance pointue et émouvante qui ne recule jamais devant la folie à laquelle son personnage est confronté. Même si les choses deviennent sombres, Cette vie qui est à moi parvient à laisser au spectateur un sentiment d’espoir – pas nécessairement que la maladie mentale puisse être complètement guérie ou même échapper, mais que la décrire avec ce niveau d’honnêteté et d’hilarité est déjà une sorte de victoire.

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