Lorsque les talibans se sont emparés de Kaboul en 2021, les femmes de la ville ont souffert. L’Émirat islamique a immédiatement fermé des écoles et des universités, interdit aux femmes d’être en public sans chaperon masculin et contraint les professionnels à quitter leur emploi ou à fermer leur entreprise. La vie des femmes de la ville s’est rétrécie, alors que le groupe militant les privait de leurs droits et les confinait chez elles.

Dans le documentaire poignant Pain et rosesréalisé par Sahra Mani (Un millier de filles comme moi), des images granuleuses de téléphones portables montrent les talibans marchant des montagnes vers Kaboul. La masse des corps inonde les rues. Leurs visages – ou le peu qui est visible – ne révèlent aucune émotion alors qu’ils crient sur la grandeur de Dieu. Des coups de feu au loin annoncent leur arrivée et mettent en garde contre un refus. Cette vidéo, un clip d’environ 10 à 15 secondes, est l’un des nombreux instantanés effrayants de Pain et roses, qui documente intimement la vie des femmes en Afghanistan après le retrait des forces américaines du pays il y a près de deux ans. Ensemble, ces vidéos offrent un regard inégalé sur Kaboul, une ville toujours en guerre.

Pain et roses

L’essentiel

Un regard peu commun sur une guerre brutale.

Lieu: Festival de Cannes (Séances spéciales)
Directeur: Sahra Mani

1h30

Les affrontements entre les femmes afghanes et les forces talibanes qui les oppriment sont capturés avec une honnêteté lucide et un œil compatissant dans Pain et roses, qui a fait sa première en séance spéciale à Cannes. Le documentaire, produit par Excellent Cadaver de Jennifer Lawrence, offre un regard rare sur les femmes de Kaboul en tant qu’architectes de leur résistance. Déterminées à restaurer leurs droits et leur dignité, les femmes afghanes ont organisé des manifestations, subi des abus et des passages à tabac, se sont réunies en secret pour élaborer des stratégies et se sont publiquement opposées au régime taliban. Ils scandent leurs revendications dans les rues : « Travail, pain et éducation ».

« Que l’histoire se souvienne qu’autrefois, une telle cruauté était permise contre les femmes afghanes », déclare un participant au documentaire dans un autre clip. Ses mots me revenaient à plusieurs reprises alors que je regardais leur résilience face à la brutalité. Le doc, qui est entièrement composé d’images envoyées à Mani par des amis sur le terrain, suit à peu près un groupe de femmes dans la première année de la prise de pouvoir des talibans. Il s’agit notamment de Zahra, une dentiste qui utilise son cabinet comme quartier général d’un groupe clandestin de militantes féministes ; Sharifeh, une ancienne employée du gouvernement qui a du mal à s’adapter à sa vie coincée à la maison ; et Taranom, un militant exilé au Pakistan. Ils tournent des images d’eux-mêmes naviguant dans une ville dirigée par les talibans.

Leurs histoires créent un portrait brutal de la ville, qui complète et contrecarre à la fois Dans ses mains, un autre documentaire sur le sort des femmes afghanes. Ce film sorti sur Netflix et produit par Hillary Clinton s’est organisé autour du témoignage de l’une des plus jeunes politiciennes du pays, Zarifa Ghafari, et a utilisé sa vie pour parler des dangers auxquels sont confrontées les femmes en Afghanistan au cours de l’année qui a précédé le retrait américain. Mais alors que Dans ses mains a façonné un récit de type thriller qui a inévitablement positionné Ghafari comme un sauveur, Pain et roses vise un registre plus honnête. Il raconte également ce qui est arrivé aux femmes qui n’avaient pas les moyens de s’enfuir et montre comment elles continuent à réclamer leur liberté.

Pain et roses est, naturellement, un documentaire plus diffus. Il y a un arc narratif lâche des femmes essayant de négocier leur participation au travail du mouvement au milieu des préoccupations de sécurité personnelle et d’obligations familiales. Mani, avec ses monteurs Hayedeh Safiyari et Marie Mavati, assemble les images fournies d’une manière qui donne le rythme du documentaire. Le projet va et vient, suivant des périodes de tension et de brutalité intenses avec des aperçus de parties plus banales de la vie. Nous voyons les forces talibanes gazer des manifestants pacifiques aux côtés de moments de tendresse, comme lorsque Zahra célèbre ses fiançailles et son mariage avec son mari.

Il y a aussi un sens de la communauté que ces femmes ont formée : des vidéos de militantes se rassemblant au bureau de Zahra pour un dîner et une conversation montrent à quel point il est essentiel de se soutenir mutuellement pour endurer le moment. Lors de ces réunions, les femmes discutent de leurs rêves d’écraser les talibans, de prendre le pouvoir, d’écrire leur propre histoire et de montrer au monde la résilience des femmes afghanes.

« J’aimerais que ce moment soit un mauvais rêve », dit un petit enfant à un moment du film. Elle n’est même pas une adolescente et elle est déjà consciente des systèmes qui conspirent contre sa survie. Sans éducation, sans possibilités de travail ou même sans liberté de quitter leur foyer, les femmes afghanes se voient refuser la promesse d’un avenir. L’importance d’un documentaire comme Pain et roses devient évident lors de ces moments avec de jeunes femmes afghanes. Le projet de Mani n’est pas seulement un appel à l’attention du monde spectateur ; c’est aussi un modèle pour la prochaine génération afghane dans sa lutte pour l’autodétermination.

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