En France, le cinéma est connu comme le « septième art » (les six autres étant la peinture, la sculpture, la musique, la danse, l’architecture et la photographie). Tran Anh Hùng’s Le goût des chosesle long métrage international du pays aux Oscars 2024, avance un argument puissant selon lequel la gastronomie devrait être numéro 8. Le film, qui a valu cette année à Hùng, né au Vietnam et basé à Paris, le prix du meilleur réalisateur à Cannes et obtient une distribution nationale limitée. sorti le 13 décembre, est un festin visuel alléchant de viande grésillante, de beurre fondant et de pâtisseries feuilletées moelleuses et légères comme l’air — le tout préparé pour la caméra par Pierre Gagnaire et Michel Nave, deux chefs trois étoiles Michelin qui a agi respectivement en tant que directeur gastronomique et conseiller culinaire de Hùng sur le plateau.

Juliette Binoche

Pascal Le Segretain/Getty Images

« Hùng voulait que nous vivions une véritable expérience gastronomique en goûtant les plats pendant les prises, pour que tout ce que nous mangeons à l’écran soit réel », note Juliette Binoche, qui joue dans Le goût des choses dans le rôle d’Eugénie, la cuisinière personnelle et amante du grand chef du XIXe siècle Dodin Bouffant, interprété par l’ancien partenaire réel de Binoche, Benoît Magimel. Le couple partage une longue histoire ensemble – dans la cuisine et dans la chambre – mais Eugénie, bien décidée à conserver son indépendance, refuse d’épouser Dodin. Pour tenter de la convaincre, il décide de faire ce qu’il n’a jamais fait auparavant : cuisiner rien que pour elle. Pour Binoche – comme Magimel, chef amateur passionné – le film a été l’occasion de renouer avec sa co-star sur leur amour commun pour la nourriture.

Qui est le cuisinier de votre foyer ?

Je cuisine moi-même. J’ai des enfants et, à mon avis, il faut savoir cuisiner quand on a des enfants car c’est la première relation qu’on a avec eux : celle de manger, de se nourrir, d’aimer et d’être aimé, d’être pris en charge. Je peux demander à un assistant de préparer les choses, de les éplucher, de les couper ou autre, mais je fais la cuisine. La cuisine peut rassembler les gens. La cuisine est un bon outil pour élever l’esprit, pour élever le cœur vers quelque chose de plus chaleureux, car la nourriture consiste vraiment à être chaud, à préparer quelque chose de chaleureux pour les personnes que vous aimez. A moins que tu n’y mettes du poison. (Des rires.)

Qu’avez-vous appris en regardant Pierre Gagnaire préparer ces repas phénoménaux ?

L’expérience ressemblait plus à de la peinture qu’à de la cuisine, plus artistique que technique. L’art culinaire est pour moi comme n’importe quel art : il faut le faire, le réaliser. Il s’agit de gestes, qui ne doivent pas nécessairement être parfaits, mais doivent être fluides. Pierre Gagnaire était là et nous l’avons observé, et ses gestes ne sont pas parfaits, mais ils sont assez justes pour ce dont il a besoin pour garder le flux de la cuisine, pour garder la liberté. Nous sommes allés dans sa cuisine quand ils l’ont filmé en train de préparer le repas et avons vraiment observé son rythme de travail : que faisait-il avant de mettre le bouillon, que faisait-il après ? J’ai étudié ses gestes et observé sa façon de cuisiner qui, comme je l’ai dit, n’était pas parfaite mais plutôt une façon d’être. Comme la peinture. Lorsque vous peignez, vous n’essayez pas d’être parfait ; on exprime une émotion, un sentiment avec la couleur et la matière. Et c’est ce que j’ai observé avec lui. C’est cette mystérieuse alchimie d’artistes qui trouvent un moyen de transformer la matière en quelque chose d’exquis, avec des chefs qui transforment les saveurs, les textures et les consistances en fonction du sens du goût.

Hùng a filmé les scènes de cuisine avec une seule caméra, ce qui semble être en temps réel. À quel point ces repas chorégraphiés ont-ils été difficiles à filmer ?

Hùng se décrit toujours comme un directeur technique, car il n’a pas spécifiquement tourné ce film en mode champ séparé/contrechamp, mais il nous a toujours gardé ensemble de manière harmonieuse. Les scènes ont été tournées en séquence, ce que je n’ai pas trouvé difficile car j’y suis habitué. Et lorsque vous comprenez dans le processus de cuisson ce qui vient avant et ce qui vient après, vous avez déjà cela en tête. Ce qui était difficile, c’était de ne pas me brûler les doigts. La majeure partie de ma concentration était consacrée à sauver mes doigts.

Les repas des acteurs de ce film ont dû être incroyables.

Chaque fois que j’avais un moment où je ne tournais pas, je courais dans la cuisine pour apprendre une autre recette ou technique.

Qu’avez-vous trouvé convaincant dans le personnage d’Eugénie ?

Au début du film, Eugénie et Dodin sont ensemble depuis 20 ans, et elle n’a jamais voulu devenir sa femme ni même monter les escaliers pour dormir dans sa chambre. Il doit descendre vers elle. Elle excelle dans ce qu’elle fait en cuisine, mais elle est très particulière, refusant de manger avec les autres, de s’asseoir et d’apprécier les repas qu’elle prépare. Il y a une logique à cela lorsqu’elle dit : « Je ne veux pas me marier parce que je veux rester indépendante. » Et bien sûr, elle sait qu’elle est malade, même si elle le nie aux autres et peut-être même à elle-même. Pour elle, continuer à cuisiner est une façon de rester en vie, de cacher la peur et la douleur.

Comment s’est passée la renouée avec Benoît Magimel ?

Nous nous connaissions depuis longtemps, mais pendant toutes ces années séparées, nous ne nous sommes pas beaucoup vus. Être sur le plateau avec lui, c’était comme le redécouvrir. En même temps, j’étais prudent parce que je ne savais pas à quel point nous pouvions être proches lorsque nous nous parlions. Une des joies de pouvoir faire ce film pour moi a été cette réconciliation comme cadeau à notre fille. Elle a regardé le film il y a une semaine et elle a été bouleversée. Je pense que ça a guéri quelque chose, au fond. Les séparations ne sont pas faciles, surtout quand on a des enfants, mais il y a toujours moyen de guérir. C’est incroyable quand nous avons une forme d’art pour vous aider à faire cela : un moyen de nous exprimer aux autres, qu’il s’agisse de peindre ou d’écrire une lettre d’amour ou un poème ou de jouer de la musique ou de faire un gâteau. Il y a toujours une façon d’exprimer quelque chose que vous ne pouvez pas exprimer avec vos propres mots parce que c’est trop lourd. C’est trop difficile. Lorsqu’une forme d’art peut transformer ce sentiment en quelque chose de plus léger, peut-être meilleur, plus vrai, c’est incroyable.

Cette histoire est apparue pour la première fois dans le numéro du 29 novembre du magazine The Hollywood Reporter. Cliquez ici pour vous abonner.

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